Constat d'achat : l'indépendance du tiers ne fait plus tout

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L’administration de la preuve en matière de contrefaçon connaît des évolutions décisives, à la croisée des exigences du procès équitable et de l’efficacité procédurale. En droit de la propriété intellectuelle, la preuve de la contrefaçon peut être rapportée par tout moyen, mais cette liberté probatoire est encadrée par le respect des droits de la défense, et notamment par le principe du contradictoire.

 

La Cour de cassation, par un arrêt rendu en chambre mixte le 12 mai 2025, a opéré un revirement partiel de jurisprudence en assouplissant les conditions de validité du constat d’achat établi par un Commissaire de Justice, lorsqu’il intervient à la demande d’une partie sans autorisation préalable du juge.

 

 

Le rôle du Commissaire de Justice dans le constat d’achat à l’initiative d’un particulier

 

Lorsqu’un Commissaire de Justice agit sur requête privée, sans commission judiciaire, il ne peut pas dans le cadre du recueil de preuves, procéder lui-même à un achat dans un lieu privé ouvert au public, sans décliner sa qualité.

 

En revanche, il est habilité à mandater un tiers qui n’a pas la qualité d’officier public pour procéder à cet acte, sous réserve de retranscrire fidèlement, dans son procès-verbal, les éléments qu’il a personnellement observés.

 

Ce procédé s’inscrit dans la logique d’une constatation matérielle pure, à l’exclusion de toute analyse ou interprétation juridique. Le tiers sollicité ne joue aucun rôle d’expertise et agit comme un auxiliaire ponctuel, sans interférence sur l’objectivité du constat.

 

Une configuration couramment utilisée dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon, pour obtenir une preuve de l’existence et de la commercialisation de produits litigieux.

 

 

L’exigence d’indépendance du tiers : recul d’un principe devenu contraignant

 

Pendant longtemps la jurisprudence a imposé que le tiers soit totalement indépendant de la partie requérante, sous peine de nullité du procès-verbal. Position inspirée des règles strictes applicables aux saisies-contrefaçons afin de garantir la neutralité de l’opération probatoire, en écartant toute suspicion de manipulation ou de mise en scène (Cass. civ 25/07/2017, n°15-25.2010).

 

La chambre mixte a récemment rompu avec cette exigence puisqu’elle considère désormais que le défaut d’indépendance du tiers ne saurait entraîner automatiquement la nullité du constat, mais qu’il revient au juge de fond d’apprécier, au regard de l’ensemble des circonstances, si cette dépendance altère la crédibilité de l’acte.

 

Un recentrage bienvenu sur la valeur probante du procès-verbal qui permet d’éviter l’invalidation de preuves utiles en l’absence d’élément déloyal ou de dissimulation.

 

Dans l’affaire en question, le tiers acheteur était stagiaire du cabinet de l’avocat de la société requérante, et son identité ainsi que sa qualité figuraient clairement au procès-verbal, sans stratagème ni dissimulation.

Le Commissaire de Justice avait suivi l’opération depuis l’extérieur du magasin, relaté l’achat effectué, reçu les pièces justificatives, et procédé à des photographies.

La Haute juridiction a ainsi estimé que le défaut d’indépendance n’avait aucune incidence sur la fiabilité du constat.

 

 

Un arrêt qui redonne sens à la loyauté dans la preuve et à la rigueur dans l’action

 

Outre la question probatoire, l’arrêt tranche également une difficulté classique en matière de propriété intellectuelle : la coexistence des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale, et la Cour rappelle que l’action en concurrence déloyale doit reposer sur des faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon, sauf à porter atteinte à des intérêts juridiquement autonomes. La seule imitation d’un produit protégé ne suffit pas à caractériser une concurrence fautive si elle ne révèle pas un comportement commercial autonome (pratiques parasitaires, désorganisation, confusion d’enseigne, etc.).

 

En tout état de cause, cette décision apporte un souffle nouveau à la pratique des constats d’achat en recentrant le débat sur la loyauté effective du mode de preuve, sans figer sa validité dans une exigence d’indépendance absolue, parfois difficile.

Pour le Commissaire de Justice, elle clarifie son périmètre d’intervention et conforte la force probante de ses constats, dès lors que ceux-ci sont rigoureusement établis, transparents et soumis au débat contradictoire.

 

 

Référence de l’arrêt : Cass. chambre mixte du 12 mai 2025, n°22-20.739